Il y a la réalité qu’on voit peu derrière les murs des magasins. Depuis quelques mois, les professionnels de la grande distribution bravent les clients maladroits – parfois arrogants – pour continuer à faire face à cette interminable crise sanitaire. Le stress et le manque de reconnaissance bernent le moral des équipes.
Travailler en grande distribution n’a jamais été simple. Déjà bien avant la crise sanitaire. Ces derniers mois, nombreux nous ont alertés du quotidien devenu stressant face aux clients devenus exigeants, maladroits, voire même intolérants. La situation du pays n’arrange rien : des gens ont perdu leur emploi, d’autres se retrouvent seuls ou se retrouvent dans une détresse psychologique.. de quoi entamer aussi le moral de ceux qui sont directement en contact avec la population.
Les applaudissements de mars et avril dernier se sont depuis évaporés. À mesure que la pandémie se prolonge, de nombreux employés de supermarchés se sentent oubliés, anxieux et en danger. Les héros de la seconde ligne sont tombés dans l’oubli.
« On doit faire face aux clients anti-masques et ceux qui croient à la théorie du complot »
« Je suis maman de deux petites filles », explique cette hôtesse de caisse, « alors oui on se méfie chaque jour et la perspective de rencontrer beaucoup de clients chaque jour ajoute du stress au quotidien ». En caisse, les gens continuent à « payer en espèces au lieu de préférer la carte », s’attriste une autre hôtesse de caisse, « on ne compte plus les gens qui se penchent derrière notre vitre pour nous parler tout en baissant leurs masques bien sûr ». « Pas plus tard que la semaine dernière, j’ai vu un client baisser son masque, s’essuyer le nez et me donner la carte du magasin », explique une autre.
Ce qui fait craindre le plus les hôtesses de caisse et employés, « ce sont les clients asymptomatiques, car ceux-ci font moins attention aux autres », ajoute une consoeur. Les conditions de travail ont certes été aménagées avec du plexiglas, du gel hydroalcoolique à disposition et des masques, mais cela « ne modifie pas pour autant les comportements, d’autant que la distanciation sociale est loin d’être respectée », complète une consoeur en pointant du doigt les files d’attente en caisse où les gens s’entassent à moins d’un mètre les uns les autres. Le constat est le même en rayon où les « gens s’entassent parfois dans les rayons ».
« L’autre jour, un client règle et puis enlève son masque. Je lui ai dit “Monsieur, je vous prie de garder votre masque jusqu’à la sortie.”, ce à quoi il a répondu que le masque était dangereux et qu’on nous manipulait. Vraiment, j’ai dû me retenir de lui dire “Et vos opinions politiques, c’est comme votre masque : vous les gardez jusqu’à la sortie », nous raconte un autre hôte de caisse.
« On voit parfois des “disputes” entre clients parce qu’ils se collent tous en caisse »
Pour cet agent de sécurité, il est lui aussi le témoin des comportements des clients : « à la porte du magasin, on voit tous les profils de clients. On surveille autant qu’on peut les entrées et sorties du magasin, mais c’est compliqué d’avoir l’oeil sur tout », commente-t-il tout en expliquant que le métier est devenu un métier de relation « on est là pour apaiser les angoisses de clients et défendre l’image du magasin ».
En magasin, les tensions sont réelles, insupportables pour d’autres : « on voit parfois des “disputes” entre clients parce qu’ils se collent tous en caisse », raconte cet hôte de caisse qui nous explique notamment que « la direction nous demande de ne pas intervenir pour faire appliquer les règles de distanciation sociale ». Les professionnels de la grande distribution et du commerce au sens large sont la vitrine du moral des Français : « on voit les craintes, les gens qui ont perdu un proche à cause du Covid, d’autres qui ont perdu leur travail, c’est décourageant ».
Bien sûr, nombreux sont aussi les salariés à reconnaître à « avoir de la chance » d’avoir un travail, « on a du travail, mais à côté on doit subir les nouvelles humeurs irrespectueuses de ceux qui n’en ont plus et viennent se défouler auprès de nous », insiste cet employé, « le pire c’est de subir ceux qui nous font la promo de la théorie du complot. Les clients nous voient parfois comme un ennemi qu’il faut combattre parce qu’on fait inévitablement partie de leur paysage ».