Lorsque le pays a été mis sous confinement en mars dernier, les métiers de la grande distribution ont été mis sous le feu des projecteurs. Une visibilité nouvelle pour ces professionnels plutôt habitués à être dans l’ombre. Applaudi, remerciés au même titre que les personnels soignants, hôtesses de caisse, employés et tous les métiers de la chaîne ont été salués par les autorités publiques.
La seconde ligne, puisque c’est comme cela qu’Emmanuel Macron les a décrits lors d’une allocution, a pourtant fait part de ses inquiétudes vis-à-vis du virus et de l’exposition vécue au quotidien. Les risques sont réels. Nous avions d’ailleurs souligné les frustrations et colères de ces professionnels qui, face aux incivilités des clients, prenaient des risques pour leur santé et celle de leur famille : entre ceux qui refusent le port du masque, ceux qui considèrent les supermarchés comme des lieux de sortie, ceux qui ne respectent pas les distances de sécurité et ceux qui se collent à la queue en caisse, les nerfs sont mis à rude épreuve.
Depuis, la crise perdure. Les applaudissements se sont éteints et le projecteur éclaire un peu moins, plongeant ces métiers dans une profonde inquiétude, de fatigue et de colère. En seulement 10 mois, les métiers ont changé. L’organisation des magasins s’est retrouvée bouleversée. Dans nos témoignages, on retrouve à la fois des salariés « à bout de souffle », mais conscients aussi d’avoir un travail quand d’autres confrères les ont perdus.
Les Héros de mars sont devenus les oubliés des médias
On peut reprocher aux médias d’avoir oublié les professionnels de la grande distribution. Si les métiers de la santé continuent à être à l’honneur – ce qui est pleinement légitime compte tenu de leur rôle -, les métiers du commerce ont largement souffert. Supermarchés, hypermarchés comme commerces de proximité, tous secteurs confondus. On n’a d’yeux que pour les enseignes et leur rôle logistique, mais on regarde peu ceux qui les font tourner. Ces petites mains qui mettent en rayon. Ces jambes qui galopent dans les drives pour effectuer les courses en ligne. Et ces pieds qui piétinent à longueur de journée.
Les théories du complot et autres fake news ne facilitent guère la tâche de ceux qui vivent le commerce chaque semaine depuis des mois. Certains clients osent feindre les gestes barrières sous prétexte que « le virus n’existe pas » et que « personne n’est mort », raconte cette hôtesse de caisse qui voit plusieurs clients soutenir ces affirmations. Conséquence : des masques sous le menton et une absence des distances de sécurité. Les hôtesses de caisse ont la vie dure.
Ces 10 derniers mois ont fait des ravages. Le moral des troupes a été mis à mal : « nous sommes fatigués, irrités par ces nouvelles règles. Notre vie se résume à boulot, voiture, dodo plus de vie. En magasin, on doit être partout. On court dans tous les services afin de pallier au manque de personnels. Les horaires changent toutes les semaines parfois en étant prévenus la veille pour le lendemain », raconte ce professionnel qui n’a jamais connu de telles péripéties en 39 ans de carrière.
Si en magasin, la crainte d’une contamination est réelle, ce qui donne le plus de sueurs froides aux salariés, « c’est le non-respect de la part des clients des règles les plus simples », regrette cet employé de rayon : « honnêtement, j’en ai marre de voir des gens qui arrivent encore à s’étonner de devoir porter un masque en magasin. Marre aussi des gens qui se permettent de baisser le masque quand ils répondent au téléphone. Marre des clients qui retirent leur masque pour renifler les fruits. Marre de ramasser la gourde de compote tombée dans le rayon », soutient-il. Autant de petites incivilités qui s’accumulent les unes les autres et entament le moral des équipes.
La fatigue est palpable : « ras-le-bol. Mais pas tellement du virus en lui-même, mais surtout des gens ! Le virus les rend insupportables », reconnaît cet employé, à cela il faut ajouter « les contraintes, les changements d’horaire à répétition, le port du masque lors des tâches de manutention, les distanciations à respecter entre collègues et les clients, tests réguliers… ».
Des professionnels qui reconnaissent toutefois qu’ils ne sont « pas à plaindre »
Il va falloir encore du courage pour tenir les prochains mois. À l’approche d’un éventuel troisième confinement, les salariés sont pleinement conscience que cette crise n’est pas prête de s’arrêter : « il va falloir faire avec ce virus encore très longtemps », admet cette employée, « en magasin on s’attend déjà à ce que les attitudes des clients sont de pire en pire », regrette-t-elle.
Et si les témoignages de fatigue et de stress sont nombreux, la plupart d’entre eux reconnaissent toutefois la cohésion dans les équipes. Une ambiance renforcée ces derniers mois par toutes les épreuves vécues : « usures et grosse lassitude », résume notamment une employée tout en ajoutant « mais heureusement une très bonne équipe avec une ambiance professionnelle plutôt agréable ».
Parallèlement, d’autres ont pleinement conscience d’être des privilégiés dans un contexte économique compliqué : « nous avons la chance d’ avoir du travail et un salaire qui tombe à la fin du mois. Il est donc interdit de se plaindre », insiste cet employé. « Nous avons la chance d’avoir du travail, notre salaire et du lien social. Oui on a beaucoup de travail, c’est vrai ». D’autres métiers n’ont pas cette chance : « les bars, les boîtes de nuit, les stations de ski, les saisonniers… d’autres professionnels vivent la crise autrement, il ne faut pas oublier. Des millions de Français sont au chômage ou ont tout perdu… », conclut-il.