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Transformation numérique et sociétale, Michel-Edouard Leclerc affiche les grandes ambitions de l’enseigne

Blogueur aguerri et patron connecté, Michel-Edouard Leclerc circule entre sa Bretagne natale et ses bureaux parisiens pour dicter la conduite de l’enseigne leader en France. Un entretien intimiste et teinté d’optimisme.

Jonathan Le Borgne
Jonathan Le Borgne

Nous avons eu l’occasion d’échanger avec lui dans un entretien exclusif, pour revenir sur les leçons de la crise sanitaire et sur les chantiers de la grande distribution pour les dix prochaines années.

Cet entretien est l’occasion de revenir sur la crise sanitaire qui a frappé le monde, sur l’emploi des jeunes et les grands chantiers à venir pour le secteur. Un échange passionnant et sans filtre dans lequel le patron se livre sans tabou, accompagné de son directeur de cabinet Alexandre Tuaillon, aux transformations numériques, économiques et sociétales de la grande distribution. L’enregistrement complet est à retrouver en podcast.

La grande distribution tire les leçons de la crise sanitaire

La grande distribution a été au coeur de l’actualité durant le confinement. Alerté, sollicité, le secteur a su répondre présent tout au long de la chaîne alimentaire. Michel-Edouard Leclerc revient sur les enseignements tirés de cette crise.

Durant cette crise sanitaire, “les politiques ont découvert la grande distribution” commence-t-il, “il y avait risque de pénurie, de besoin d’approvisionnement et un besoin de fédérer l’ensemble des filières des chaînes de décisions. Les patrons de la distribution, des enseignes indépendantes ou intégrées se sont organisées très très vite. J’ai vu en deux jours la grande distribution française dire et énoncer toutes les problématiques auxquelles le secteur allait faire face, alors même que c’était une situation inédite face à une pandémie de ce type. En deux jours, nous avions déjà fait le benchmark de ce qu’il s’était passé en Italie, en Asie. […] On a montré qu’on était une belle task force, à la fois en efficacité et aussi en générosité”.

La crise fut un événement inédit pour le secteur qui a dû s’adapter à la fois aux exigences des ministères, mais également aux signalements provoqués par l’arrivée en masse des consommateurs : “c’est la précipitation des consommateurs dans les magasins qui a donné l’urgence du dispositif. C’est à partir de l’annonce du président Macron qu’on a senti qu’il fallait vraiment coordonner cela. C’est à partir des deux jours avant l’application du confinement et les jours qui ont suivi, que la grande distribution a travaillé sur la question des masques, de la distanciation, de l’installation du plexiglas dans les magasins”, assure le patron de l’enseigne.

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La valorisation des métiers de la grande distribution…

En parallèle de cette exposition, la crise sanitaire a également été l’occasion de mettre en lumière ces hommes et ces femmes qui ont été au front et qui ont su répondre présent aux attentes des magasins. La crise a été un révélateur, auprès des politiques surtout, de l’utilité des métiers du commerce. “Nos élites sont industrialistes” affirme Michel-Edouard Leclerc, “depuis Colbert, c’est la terre et l’industrie qui crée de la valeur. Le commerce est parasite. Acheter pour revendre ne crée pas de valeur, selon les anciens personnages politiques, et nos élites actuelles cultivent cela”, dit-il pour expliquer pourquoi ces métiers souffrent encore de dévalorisation au sein de la société.

Qu’ils soient employés, caissières, managers, directeurs et autres fonctions supports, les métiers de la grande distribution sont en définitive face à un manque de reconnaissance du grand public. “La valorisation des métiers de la grande distribution passe d’abord par la valorisation des tâches et des fonctions dans l’imaginaire et dans la pensée des gens, du public et des décideurs. Lors de la crise du Covid, lorsque les clients applaudissent les caissières, ils le font plus pour la prise de risques que pour la fonction qu’elles exercent usuellement” explique-t-il, “le travail des enseignes aujourd’hui, c’est de montrer la valeur créée par la fonction commerciale et par les acteurs du commerce. Il y a un énorme travail pour que dans les familles, les parents poussent leurs jeunes à entrer dans le milieu de la grande distribution. Certes, il faut que les métiers paient plus, mais encore faut-il savoir donner envie de se tourner vers ces métiers-là, sans vouloir cumuler les défauts”, ajoute-t-il comme pour inviter les jeunes à découvrir les métiers du secteur.

Ce marché du travail des métiers de la grande distribution ne crée pas le désir. Il faut investir en communication, en formation pour faire émerger l’intérêt de ces postes, à la fois l’intérêt intellectuel, l’intérêt social et l’intérêt financier.Michel-Edouard Leclerc

L’intégration de la nouvelle génération

Le marché de l’emploi est en souffrance. En tête de ligne, les étudiants à la recherche d’une alternance alertent sur les difficultés à trouver une entreprise d’accueil à la rentrée : “la situation va être compliquée pour les jeunes”, admet Michel-Edouard Leclerc qui est aussi président d’une école de commerce : “je reconnais la complexité de trouver des stages, des contrats d’apprentissages. Au sein des enseignes indépendantes, le recrutement des jeunes ne va pas être la priorité de l’été. Les patrons sont davantage préoccupés pour faire remonter le chiffre d’affaires”, regrette-t-il.

Quant au renouvellement des effectifs et l’arrivée des jeunes au sein de la grande distribution, le patron de l’enseigne évoque la nécessité du secteur à rendre attractif ces postes et les plans de carrière. La grande distribution a énormément à faire. “Les métiers de boucherie ne sont pas appuyés par des influenceurs” concède-t-il en comparant certains métiers de bouche, comme les bouchers, aux métiers de pâtisserie pour lequel des concours télévisés existent pour valoriser le métier. Si bien que quand un jeune évolue vers ces métiers, “cela fait sens”. “Le contexte social n’est pas favorable à valoriser ces métiers”, ajoute-t-il.

“Dans la tradition française, la grande distribution n’est que le débouché. Dans la réalité, nous avons pu le constater pendant la crise que le secteur était LE moteur. Mon idée, c’est de prendre chaque poste et de démontrer la contribution de chacun” complète Michel-Edouard Leclerc en évoquant les métiers de la grande distribution.

Mon métier, c’est de valoriser les métiers de la grande distribution parce que je me rends compte que les métiers, l’efficacité, l’intérêt et tous les aspects politiques du secteur, comme l’ancrage territorial, ont un effet moteur dans l’économie.Michel-Edouard Leclerc

Et la prime de 1000 euros ?

Pour le patron de l’enseigne attaché à la valeur du travail et à la contribution des efforts des salariés à l’entreprise, “le débat sur versement de la prime n’était pas la meilleure approche de la valeur et n’était pas liée au travail” concède-t-il tout en complétant que même si le principe de la prime a été acté et sera effectif dans la plupart des centres Leclerc, “la participation et l’intéressement existent et sont aussi des moyens de récompenser la contribution et de proposer une rémunération plus durable”.

Plus nous serons là à valoriser ces métiers, et plus ces métiers seront un espoir, parce que la grande distribution est un vrai débouché pour l’économie de service de demain. Michel-Edouard Leclerc

La grande distribution reste un vivier d’emplois

La menace de l’emploi en grande distribution est également un sujet de fond au sein de l’enseigne. Alors que le temps vient à l’automatisation des tâches et que la menace plane au sujet de l’avenir des métiers du terrain, le patron de l’enseigne insiste qu’au sein de l’enseigne “il y a entre 2000 à 2500 de créations d’emplois nettes par an depuis dix ans. Chaque année, nous avons plus d’hôtesses de caisse que les années précédentes” confirme d’ailleurs son chef de cabinet Alexandre Tuaillon.

Le patron de l’enseigne reconnaît qu’il y a “des fonctions qui se sont automatisées, et d’autres fonctions qui se sont créées. Je ne pense pas qu’il y ait eu tant que ça d’emplois perdus dans le secteur de la grande distribution. Il y a des gisements d’emplois énormes dans le secteur des services. La recherche de création de valeur dans la chaîne alimentaire est encore source de nouvelles créations d’emplois. L’évolution vers le multicanal est encore créateur d’opportunités d’expansion, et aussi de création d’emplois dans la relation client, dans l’animation des magasins…” ajoute-t-il.

Entre transformation numérique et sociétale, l’enseigne E.Leclerc se prépare aux dix prochaines années

Au-delà de ce coup d’arrêt provoqué par la Covid-19, la grande distribution a davantage changé ces 10 dernières années que dans toute son Histoire. Ces dernières années ont bousculé les stratégies des enseignes, qui ont dû s’adapter aux nouvelles exigences des consommateurs.

Sur les 10 dernières années, ce qui m’a le plus impressionné, c’est la réactivité des distributeurs aux interpellations des ONG sur l’évolution des modèles économiques” explique Michel-Edouard Leclerc tout en complétant que “dans ma génération […] on estimait que c’était à l’État de dire le droit, de monter les standards, puis on appliquait” explique-t-il. “Depuis 5 ans, l’État est en panne, les processus législatifs sont trop lents et sont plombés par les querelles politiciennes. Jusqu’au Covid, le discours du budget faisait qu’on associait toutes mesures à un processus budgétaire. Les ONG telles que Foodwatch, Greenpeace, ont compris et nous ont interpellé” reconnaît-il. Un changement de paradigme tel, que les décisions auparavant solitaires des entreprises ont pu être accélérées par ces nouvelles organisations.

Les choses changent “mais ne vont jamais assez vite pour ceux qui sont victimes des discriminations”, ajoute celui qu’on surnomme aussi MEL. “Par rapport aux urgences planétaires, on peut dire dans les médias que cela ne va pas assez vite. Dans la réalité, le temps de l’entreprise n’est pas le temps du média. Ça va quand même assez vite”, sourit-il.

Les enseignes indépendantes moteurs de la croissance en grande distribution

Parmi ces changements de ces dix dernières années, un changement de paradigme opposant les enseignes intégrées aux enseignes indépendantes est aussi observé. Le patron de l’enseigne explique les raisons du succès qui font que Leclerc, Système U et Intermarché, trustent aujourd’hui les meilleures progressions en termes de parts de marché, par opposition à Carrefour, Auchan et encore Géant Casino.

Parmi les raisons qui expliquent ce changement, “l’ancrage territorial fait sens. Il y a un dialogue localement, si bien que l’implication d’un magasin indépendant sur les problématiques locales va vite, voire très très vite”.

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La grande distribution face aux futures mesures de la Convention Citoyenne pour le Climat : de la fin des sacs plastiques, à la fin possible du prospectus

Sensible aux enjeux sociétaux du secteur et souvent pionnier en matière de décisions, le patron de l’enseigne concède que le virage écologique “coûte cher”. “Nous avons encore beaucoup de solutions positives. Il faut rassembler les forces vives de l’écologie positive”, s’enthousiasme MEL.

La fin des sacs plastiques…

Pionnier sur l’arrêt des sacs plastiques, Michel-Edouard raconte ô combien son combat a été long : “c’était un combat dans le but de rassembler les gens. Ça a démarré en 1992 avec des centres E.Leclerc de la côte [bretonne]. Mon père me disait à l’époque “fais gaffe”, pour une bonne idée, c’est un acte vachement anti-commercial, alors qu’au même moment Auchan faisait la publicité pour l’automatisation de l’ensachage. J’ai convaincu un groupe de centres Leclerc puis des personnalités extérieures, des marins, l’aquarium de La Rochelle, Océanopolis à Brest. J’ai organisé des conventions avec des cheffes caissières, parce que c’est elles qui allaient être sur le front. On a mis du temps et surtout, nous n’avons jamais été soutenus par les pouvoirs publics”.

…jusqu’à la fin éventuelle des prospectus : “nous sommes prêts”

Dans le viseur de cette Convention Citoyenne pour le climat, la pub, la suppression de la publicité dans l’espace public a été mentionnée. Dans le rétroviseur, en 2010, l’enseigne portait d’ailleurs la promesse d’atteindre le zéro prospectus pour 2020, un pari audacieux certes, mais le projet est toujours en cours au sein de l’enseigne : “l’annonce de l’arrêt du prospectus en 2010 était un acte fédérateur. Je voyais un groupe d’adhérents qu’il fallait faire basculer dans le digital. Je ne savais pas où on allait. Cette annonce était un moyen de les engager sur le multicanal, sur le digital et sur la relation dématérialisée avec le consommateur. Cette annonce a été un slogan en interne très mobilisateur”, raconte le patron de l’enseigne qui a aussi été pionnière sur le drive et qui réalise près de 10% de son chiffre d’affaires grâce au digital.

L’enseigne confirme travailler activement sur le sujet et affirme “être prête”. Remplacer le digital par le prospectus est une réelle volonté de l’enseigne : “aujourd’hui, la consultation des catalogues digitaux concerne moins de 10%. Nous sommes prêts. Si à partir de la convention citoyenne, il y a un projet de loi, ça va être compliqué, parce que les clients ne sont pas prêts”, ajoute-t-il tout en confirmant que E.Leclerc a une longueur d’avance sur d’autres distributeurs.

D’autres chantiers sociétaux de grande ampleur sont à l’étude et l’enseigne y attache une forte importance à avancer sur tous les sujets : “tous les chantiers concernant la Responsabilité Sociétale des Entreprises font l’objet de travaux”, explique-t-il. D’ailleurs, si on prend le sujet du gaspillage alimentaire, “il n’y a pas d’obstacles intellectuels et politiques à la lutte contre le gaspillage et surtout il y a un intérêt économique” pour l’enseigne.

Son père, son amour pour la course à pied et sa Bretagne natale

Évidemment, Michel-Edouard Leclerc suit les traces de son père, Édouard, fondateur du mouvement : “Édouard avait cette idée d’une évolution en spirale, c’est-à-dire que chaque fois qu’on fait des avancées, ces avancées produisent des excès, des rentes, et donc il fallait lutter par avance à l’excès et aux rentiers. C’est une révolution permanente, tu fais le tour de la boucle et tu repars. Je pense qu’aujourd’hui il faut revisiter toutes nos avancées et les réinitialiser avec les nouvelles demandes sociales”, raconte-t-il.

Au-delà du patron de l’enseigne, l’homme est également revenu pour sa passion pour la Bretagne. C’est avec des étoiles dans les yeux qu’il raconte son amour pour le Finistère qui, du Nord au Sud, est le théâtre de réception de ses collaborateurs lors de séminaires et le témoin de longues balades : “j’aime beaucoup le Finistère Nord. J’aime beaucoup Keremma, Brignogan… Je cours. Je fais des kilomètres et des kilomètres. Je pose ma voiture et je m’éloigne jusqu’à être fatigué, car je sais que je dois rentrer. Cela me fait faire mes 30 bornes. C’est un exutoire pour moi de courir”.

Quant à son avenir, Michel-Edouard porte cette mission de faire bouger les lignes et d’être un acteur du changement sans toutefois rechercher le besoin “d’apposer sa signature”’ sourit-il : “je suis toujours en mode projet et je me satisferai bien d’accompagner les bons projets, d’y mettre ma santé, ma verve pour faire bouger la société dans le bon sens et de la transformer. L’importance n’est pas d’être le roi, c’est de participer à l’édification du royaume” termine-t-il.

Un entretien riche et passionnant à écouter en totalité au sein du podcast. J’en profite pour remercier ses équipes qui ont permis cet entretien. Ils se reconnaîtront à la lecture de ces quelques lignes. À écouter ici.

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Enseigne

Jonathan Le Borgne Twitter

Éditeur de Je Bosse en Grande Distribution. Passionné par la transition numérique des entreprises. Consultant, formateur et stratège en communication digitale pour la grande distribution.

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