Plus que jamais au front, les salariés craignent pour la suite, car personne ne sait encore combien de temps risque de durer cette épidémie.
On pourrait d’ores-et-déjà ajouter une nouvelle catégorie sur le marché de l’emploi : celle des travailleurs d’urgence. Comme des soldats de l’ère moderne, on retrouverait dans cette catégorie les professionnels de santé et de sécurité, mais on pourrait ajouter les professionnels du commerce, chargés de permettre aux citoyens de s’approvisionner.
Sans eux, les supermarchés seraient déserts et les consommateurs seraient livrés à eux-mêmes pour se nourrir, obligés de s’appuyer sur d’éventuelles réserves non anticipées. Et grâce à eux, ils évitent au pays bon nombre de heurts, de vols, de troubles… Leur rôle est aussi presque essentiel à la bonne sécurité du pays.
En France, ils sont près de 700 000 concernés. Ils sont employés de rayon, hôtesses de caisse, agent d’entretien, agent de sécurité, managers, directeur, transporteur et bien d’autres. Et pour eux, le télétravail est impossible. Leur présence dans les rayons a finalement quelque chose de rassurant, le signe presque indéfectible d’un modèle qui fonctionne bien et de professionnels qui font leur job jusqu’au bout. Quoi qu’on en dise, la grande distribution reste un fleuron de l’économie française : car la chaîne logistique, malgré les tensions et les menaces de pénurie, reste intact.
Des personnes dévouées qui se sacrifient pour la nation
Derrière ces professionnels, ce sont avant tout des hommes et des femmes. Des consommateurs aussi. Certaines de leurs histoires sont troublantes. On retrouve des femmes, à l’image de cette hôtesse de caisse, qui continue d’accueillir les clients du magasin à sa caisse malgré la crainte de ce qu’elle va ramener à la maison.
D’autres sont mères d’une famille nombreuses, d’autres atteintes de sclérose en plaques, d’autres allergiques à du gel hydroalcoolique… ces professionnels refusent pourtant d’exercer leur droit de retrait par respect pour leur employeur ou parce qu’elles ont peur de ne pas être reconduites à la fin de leur CDD.
Sur le plan personnel, nombreux sont ceux qui refusent d’être considérés comme des héros de l’ombre ou des héros discrets. Ils reconnaissent néanmoins un dévouement et un sacrifice parce qu’ils sont définitivement conscients du rôle de leur mission pendant cette crise sanitaire.
Redorer le blason de métiers en tension
La grande distribution est de ce secteur dont on aime critiquer les métiers, mais dont on a tant besoin. Cette crise sanitaire démontre la dépendance des consommateurs pour ce modèle. Les plus jeunes qui y travaillent ont souvent honte d’avouer qu’ils travaillent dans ce secteur (ndlr : c’est d’ailleurs avec comme objectif de valoriser les métiers que j’ai créé ce blog il y a une dizaine d’années).Cette crise est l’occasion de redorer le blason de ces métiers. Aujourd’hui, ces salariés peuvent être fiers.
Mais la fierté ne suffit pas à gommer la fatigue accumulée ces derniers jours. Malgré les mesures de précautions mises en place dans les magasins pour rassurer les salariés, cela ne suffit pas à effacer leurs craintes. Cette “deuxième ligne” use le carrelage à l’énergie.
Cette fatigue ne tient pas seul du rythme effréné qu’ils subissent. Les horaires aménagés, où le travail de nuit est privilégié pour les éviter d’être en contact avec la clientèle, sont usants. Ils sont fatigués de la pression constante, de la peur d’être contaminé, des interactions irrespectueuses des clients à leur égard.
Des métiers importants pendant la pandémie
À tort, les politiques ont mis du temps à reconnaître l’importance de leur travail dans une pandémie comme celle que nous connaissons. Il aura fallu plusieurs jours avant que le Président de la République ou le ministre de l’Économie osent les citer dans leurs discours.
Au même titre que les professionnels de sécurité et de santé, les salariés de la grande distribution sont des travailleurs essentiels.
Cette pandémie apprendra qu’il faudra songer à l’avenir de créer une “réserve commerciale” afin de mobiliser des travailleurs prêts à intervenir au front dans les magasins lors de crises majeures – comme c’est le cas avec une réserve de santé ou une réserve militaire. Ce sont les agences d’interim, aux accents précaires, qui assurent cette “réserve” aujourd’hui.
En récompense de leur investissement, des primes jusqu’à 1000 euros sont annoncées. Mais derrière les effets d’annonce des patrons d’enseignes, elles revêtent un caractère politique : l’État ne pouvant qu’inviter ou inciter les entreprises à la verser. Si bien que des magasins indépendants ont déjà annoncé à leurs salariés qu’ils ne la verseront pas.
Aux États-Unis, cette prime s’apparente plutôt à une hausse du salaire (de 2 dollars supplémentaires par heures travaillées). Une plus juste récompense qui ne revêt pas un caractère différé et qui mobilise les salariés à l’instant T.