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Les grands défis du commerce de demain (d’après le livre Éloge du magasin)

Si vous ne l’avez pas encore lu, le livre Éloge du magasin de Vincent Chabault est une pépite qui met en perspective les récentes mutations du secteur.

Jonathan Le Borgne
Jonathan Le Borgne

Le livre aux 22 chapitres, le sociologue revient sur des enquêtes sociologiques qui resituent le magasin comme des lieux de sociabilité où prônent authenticité et proximité. Et face à l’essor du e-commerce, de la vague Amazon, le magasin a, contrairement aux idées reçues, de beaux jours devant lui.

J’ai eu le plaisir d’échanger avec Vincent pour parler de ce livre et lui poser des questions. Étant moi-même très sensible aux mutations du secteur et aux transformations liées aux numériques, je reviens avec l’auteur sur les grandes lignes qui préfigurent le commerce de demain.

Je reviens sur les grands sujets qui interrogent le secteur aujourd’hui : l’omnicanalité, le modèle de l’hypermarché, l’opposition indépendants vs intégrés, la consommation comme un vecteur d’intégration sociale, l’importance du local et les nouvelles valeurs qui préfigurent le commerce de demain.

L’omnicanalité, un idéal difficile à atteindre pour d’anciens distributeurs

Le livre de Vincent comment par l’avènement de la menace internet. Nous sommes à la fin des années 90, Internet débarque sur des écrans d’ordinateurs. Personne encore ne sait ce qu’il va devenir. “Je débute mon livre par la Retail Apocalypse qui sévit aux Etats Unis et au Royaume Uni depuis une dizaine d’années” commente l’auteur avant de regretter que “aux Etats Unis, entre 5000 et 9000 points de vente ferment leurs portes chaque année”.

Le marché américain a été le premier à souffrir de la concurrence du web. Si “les experts américains incriminent Amazon en premier lieu, d’autres facteurs sont aussi déterminants comme la crise de 2008, qui a eu des effets sur le pouvoir d’achat, l’essor d’une nouvelle demande et sans doute aussi le sur-développement commercial” tempère Vincent. “Le parc de magasins a crû plus vite que les dépenses des Américains”, ce qui explique le lent déclin de la grande distribution outre-Atlantique.

Par ailleurs, en cette fin des années 90, si Internet balbutiait encore (oui 25 ans déjà), Amazon, sous l’impulsion de Jeff Bezos, était en plein essor sur un marché tout neuf. On ne peut que constater que “les stratégies digitales de certains retailers américains ont tardé à se développer face à l’essor d’Amazon”. “Le géant américain détient aujourd’hui la moitié du marché du e-commerce” ajoute-t-il avant d’expliquer que “l’omnicanalité est un idéal difficile à atteindre pour d’anciens distributeurs”.

L’hypermarché n’est pas mort, il doit se réinventer

Vincent Chabault est aussi l’auteur de “Vers la fin des librairies ?”, un marché à qui on prêtait un destin noir et une disparition certaine. Plus que la fin d’un modèle, les librairies ont échappé à un destin funeste, et mieux encore, elles ont résisté à la vague numérique !

Alors de là à dire que l’Hypermarché est mort est un raccourci, “je me méfie des constats hâtifs” assure le sociologue. Le modèle vit certes une profonde crise. Auchan, Carrefour, Casino sont en première ligne sur ce modèle… pour autant les indépendants se portent bien.

Je ne rejoins pas certains observateurs qui annoncent la fin des hypers.

Si le modèle vit une période difficile, cela tient davantage du fait de la “concurrence sur le non-alimentaire et de l’effritement de la demande”. Le modèle “s’est construit sur une demande homogène qui a permis la mise en place de mécanismes de rationalisation de l’activité extrêmement performantes. Mais depuis 20 ans, la demande est écartelée entre des aspirations plus saines, plus haut de gamme, plus locales et une autre demande plus low cost”.

Ces nouvelles attentes des consommateurs ont une incidence directe sur le modèle, surtout auprès des consommateurs au pouvoir d’achat élevé qui “désertent [les hypermarchés] au profit des magasins bios ou des supermarchés de proximité” alors que les consommateurs moins favorisés privilégient davantage les enseignes de hard-discount.

À ces changements, viennent aussi se greffer des changements fondamentaux de la société : “un quart des familles françaises sont monoparentales” commente Vincent tout en assurant que “les distributeurs doivent répondre à ces mutations”, cela passe par notamment par l’ouverture de “concepts plus petits, de proposer une offre plus saine et issue de l’agriculture locale, d’intégrer aussi davantage d’employés sur la surface de vente”. Ces transformations sont importantes et les questions sur le coût et la rentabilité n’ont pas encore trouvé de réponses.

Alors oui, “le modèle du grand paquebot ne convient plus”. Le tout-sous-le-même-toit souffre aussi d’un modèle d’organisation inadaptée aux entreprises actuelles qui réclame davantage de réactivité et d’agilité.

Quand les intégrées souffrent, les indépendants trinquent

Quand vous posez la question à un entrepreneur sur le marché du retail, il vous répondra toujours qu’il est plus facile de travailler avec une enseigne indépendante qu’avec une enseigne intégrée. La raison ? Des patrons ancrés sur le territoire, une connaissance de l’économie locale, une proximité avec les acteurs locaux.

Les indépendants se mêlent mieux à leur territoire et sa population par des campagnes de communication locales, par du sponsoring sportif, par des actions de communication locale menées

Dans un marché de la grande distribution en crise, ce sont les enseignes indépendantes qui tirent leur épingle du jeu. “Leur offre est mieux ancrée sur le territoire du consommateur” explique le sociologue. Face à des Carrefour, Auchan et Casino aux fonctionnements centralisés, “les indépendants comme les U, Leclerc, Intermarché peuvent répondre de manière plus agile à l’évolution de la demande”. La force des enseignes indépendantes est indéniable et bénéficie d’une image “plus proche, plus positive auprès des consommateurs du même territoire”.

La consommation comme un vecteur d’intégration sociale

On se souvient presque tous de ces grandes opérations commerciales offrant parfois, à l’instar d’un pèlerinage, des scènes ou l’on peut voir des consommateurs en venir aux mains pour un produit (Nutella, Thermomix…). Cette question, Vincent Chabault y répond en revenant notamment sur la consommation comme “un moyen d’intégration sociale”.

Consommer, ce n’est pas seulement répondre à un besoin, c’est participer à la société, c’est montrer qu’on y appartient.

Les scènes diffusées en masse sur les réseaux sociaux s’expliquent selon le sociologue : “c’est fondamental chez les personnes défavorisées. Pour une fois, grâce à la forte remise, certaines mères de famille se disent « je vais pouvoir acheter du vrai Nutella à mes enfants »”. Ces comportements rappellent tristement deux choses : de un, “le pouvoir d’attractivité des marques”, de deux, “que beaucoup de Français sont à quelques euros près”. Derrière le caractère souvent méprisant des commentaires sur les réseaux sociaux, ce constat impose un certain recul sur la situation.

Le commerce local rime avec authenticité et proximité…

Ce n’est pas une surprise en soi. Le commerce local vit des heures réjouissantes. L’auteur du livre revient longuement sur les raisons du succès d’un commerce local et sa forte corrélation avec l’incarnation du commerçantqu’il considère comme une “figure locale”. Car, “dans l’imaginaire positif de l’épicerie, il y a toujours la figure de l’épicier, parfois de son épouse, que l’on connaît et avec qui l’on discute de choses et d’autres. L’épicier arabe est une figure encore présente”.

Cette représentation du commerçant c’est un peu l’ADN du concept Mandarine initié par Franprix : l’enseigne “veut en quelque sorte convertir l’employé de vente en épicier de quartier en mettant en avant les services rendus, comme recharger le téléphone, regonfler les pneus de vélos…”. Ce sont des motifs de “satisfaction client” assure-t-il.

…des valeurs qui préfigurent le commerce de demain

L’authenticité et la proximité sont deux leviers de développement du commerce et on le constate déjà, notamment dans les grandes villes” explique Vincent tout en ajoutant que “nombreux distributeurs ont émergé ou ont su se renouveler dans cette direction”. Des valeurs bien comprises de la part des acteurs de la grande distribution et de la grande consommation.

Derrière le cliché du “cultivateur d’abricots et sa belle et généreuse moustache” dont la photo est affichée sur le produit se cache une réelle demande des “nouvelles élites culturelles” qui “ont besoin de connaître les produits, leur histoire, leur origine”. Si le sociologue reconnaît toutefois que “c’est parfois excessif”, il assure que “la demande est bien réelle”. Et qui demande… dit offre.

🙏 Un chaleureux remerciement à Vincent Chabault qui a accepté de répondre à mes questions. Vous pouvez retrouver son livre en librairie de préférence mais aussi sur les plateformes e-commerce que vous connaissez.
RSE

Jonathan Le Borgne Twitter

Éditeur de Je Bosse en Grande Distribution. Passionné par la transition numérique des entreprises. Consultant, formateur et stratège en communication digitale pour la grande distribution.

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