Comment combattre l'absence de mobilité des séniors dans les zones rurales

Interview sur la question de la mobilité. Comment permettre demaoin aux séniors de continuer à venir en magasin.
Comment combattre l'absence de mobilité des séniors dans les zones rurales

Nous courons vers un monde où la population vieillit. C'est un fait. Selon les chiffres de l'INSEE, il y aura bientôt plus de décès que de naissance. Cette crise démographique qui nous attend va avoir un impact colossal sur la consommation et notre économie au sens large.

En parallèle de ce vieillissement, la ruralité exacerbe les problèmes de mobilité. Le commerce local (ndlr : le commerce de demain si on va plus loin) va jouer un rôle central pour répondre à de futurs nombreux défis sociaux.

Sollicité par Héloïse Lamotte, fondatrice de Mains d'Argent, nous avons reçu Patrice Guérin, associé du Super U de Mamers en Sarthe, pour mettre en lumière ces enjeux et partager ses réflexions et initiatives sur un sujet clé.

La mobilité des séniors : un défi social au cœur du commerce local

Penser global, agir local. C'est un peu le maître mot de la nouvelle campagne de communication de Coopérative U. Dans une vidéo, on apprend que Sébastien, associé du magasin Hyper U de Hanche, a mis en place une ligne de bus pour ses clients. « c’est un engagement pris il y a plus de 20 ans maintenant » rappelle Frédéric Amazouze Directeur Hyper U Hanches sur le blog de l'enseigne.

Crée pour permettre à ses clients âgés, isolés ou à mobilité réduite, la ligne de bus mise en place depuis 22 ans, effectue trois rotations par semaine (le lundi, le mercredi et le vendredi). Doté de 60 places, le transport collectif dessert trois communes avoisinantes et permet à cette population d'avoir un accès au magasin. Ce service gratuit se veut comme un outil de lien social.

Être présent physiquement en magasin devient de plus en plus difficile pour les séniors en milieu rural », Patrice Guérin.

Le supermarché, bien plus qu'un lieu de consommation

La transition était toute trouvée pour interviewer Patrice Guérin. Associé du magasin Super U de Mamers dans la Sarthe, cette question de la mobilité lui revient souvent. Attaché à sa clientèle, le dirigeant considère le commerce comme un lien indispensable à la vie sociale : « le supermarché est un lieu de vie, un lieu social où les gens se rencontrent, échangent et interagissent », nous conforte l'associé. Pour beaucoup de séniors, venir au magasin est bien plus qu'une simple course : « nos clients viennent pour discuter avec le boucher, l'hôtesse de caisse ou simplement retrouver des amis. Chez nous toutes nos caisses sont des blabla-caisses », résume-t-il pour qualifier l'indispensable proximité d'un commerce.

Mais là où le bât blesse, c'est la vaste question de la mobilité. Être présent physiquement en magasin devient de plus en plus difficile pour les séniors en milieu rural. Patrice observe que « nos séniors ont de plus en plus de difficultés à se rendre de leur domicile au magasin ». Les solutions comme le drive ou l'aide à domicile peuvent faciliter l'achat, mais elles « font perdre le lien social », déplore-t-il.

Première anecdote en date, Patrice explique l'histoire d'une cliente qu'il a dû ramener chez elle après un malaise dans le magasin. L'associé s'est retrouvé à ranger ses courses dans le frigo et à partager un café avec elle : « c'est fou qu'on n'arrive pas à avoir un système en place pour ces situations », regrette-t-il.

Deuxième anecdote récente : Patrice Guérin partage l'histoire d'un client âgé, fidèle du magasin, qui, après avoir fait un AVC, s'est vu retirer sa voiture par sa famille : « le client est désemparé, son fils a décidé de lui retirer sa voiture, lui coupant toute possibilité de se déplacer lui-même », raconte-t-il. Le client, alors situé à 7 kilomètres du magasin, s'interroge la larme à l'oeil « comment allons venir au Super U maintenant ? ». Embêté, l'associé U demeure impuissant : « venir au magasin, c'était leur moment de liberté. Il vient chercher son journal, voir des collaborateurs qu'ils connaissent par leur prénom, prendre un café [...]. Regrouper ses courses en une seule fois n'est pas ce qu'il veut, lui ce qu'il veut, c'est sortir », se confie le dirigeant du magasin de Mamers : « j'ai senti sa détresse. Et cette histoire, vous l'avez avec plein de personnes âgées », regrette-t-il.

Le commerce revêt un enjeu local et humain

C'est là où le pouvoir du local puise toute sa force. Dans les initiatives du quotidien.

Interrogé en parallèle sur un sujet connexe, la disparition progressive des prospectus, très prisés par les séniors, Patrice Guérin a reconnu que le sujet est au cœur des réflexions : « nos concurrents ont arrêté, mais nos clients apprécient encore ces supports », explique Patrice. Distribuer ces tracts directement en magasin lors des visites régulières reste un moyen efficace de maintenir le lien avec cette clientèle.

Cela rappelle à quel point le commerce d'aujourd'hui revêt une dimension humaine importante, dans un monde souvent jugé trop connecté numériquement parlant : « en tant que magasin, nous sommes au cœur de la cité au sens noble du terme. Nous finançons des associations, des clubs. Nous faisons partie de cette place », confirme notre invité sur le podcast

Pour Patrice, il est clair que le commerce de demain sera différent : « on ne peut pas se contenter de vendre des produits. Il faut créer du lien, s’adapter aux besoins locaux et surtout être présent pour les gens », conclut-il. Cette posture résume parfaitement l'esprit des commerçants indépendants qui, à travers des initiatives innovantes et un engagement local fort, redéfinissent leur rôle dans une société en pleine mutation.