C'est une étape fondatrice dans la lutte contre le gaspillage alimentaire, dans la grande distribution : adoptée en 2016, la loi Garot interdit la destruction de denrées encore consommables et oblige les magasins de plus de 400 m² à établir des conventions de don avec des associations d’aide alimentaire, pour la reprise de leurs invendus.
Une loi qui a « beaucoup apporté : votée à l'unanimité, elle a créé un élan médiatique et fait de la France une pionnière du sujet », relève Clément Carreau, responsable des affaires publiques chez Phénix, startup spécialisée dans les solutions anti-gaspillage, principalement auprès des distributeurs. « Son gros plus, c'est d'en avoir fait un sujet de société », ajoute Christophe Menez, confondateur de Smartway, autre entreprise sur le créneau.
Nous avons interrogé les acteurs majeurs du sujet en France afin de cerner les axes d'amélioration de la loi.
Intégrer les petites surfaces dans les grandes villes
Car oui, le texte a ses écueils. D'abord, avec le seuil de 400 m², nombre de distributeurs échappent au dispositif : 40% du parc, a compté Phénix. « À Courbevoie, sur 31 supermarchés, 20 font moins de 400 m². À Paris, c'est la majorité », cite en exemple Clément Carreau, qui appelle à abaisser le seuil en milieu urbain, où ces supérettes sont en plein essor. Le cadre de Phénix pointe aussi le silence de la législation concernant les acteurs du quick commerce, qui livrent des courses en 15 mn depuis des entrepôts, un segment là aussi en pleine explosion.
Par ailleurs, la loi Garot pose peu de contraintes : si elle oblige à nouer des conventions de don, elle ne dit rien sur leur rythme ou leur volume. « Une association peut venir une fois dans l'année, le magasin ne sera pas contrevenant », relève Clément Carreau. De plus, les contrôles sont quasi-inexistants, faut d'effectifs dans les services de l'Etat, et les amendes très peu dissuasives.
Veiller à la qualité des dons
Autre point d'achoppement : si les dons ont fortement augmenté, leur qualité s'est en partie dégradée, avec des produits parfois très vite périmés, qui « n'ont pas le temps d'être redistribués. Le gaspillage s'est déporté sur les associations », déplore Christophe Menez. Ainsi, dans les Banques alimentaires, le taux de rebut tourne autour de 10%. « Ca nous oblige à gérer des déchets : c'est un coût et une organisation », pointe Barbara Mauvilain, responsable des relations institutionnelles à la Fédération française des Banques alimentaires, appelant à faire respecter l'obligation de tri qui incombe aux GMS.
L'association plaide aussi pour que la qualité des dons soit un des critères d'obtention du label national anti-gaspillage alimentaire, en cours d'élaboration. Renforcer les contrôles de la qualité des dons, en levant le flou sur les services en charge de ces contrôles, est également l'une des pistes d'amélioration avancées par l'initiateur de la loi, le député socialiste Guillaume Garot, qui a déposé en 2021 une proposition « pour une nouvelle étape contre le gaspillage alimentaire », restée dans les tuyaux parlementaires.
Des leviers fiscaux à actionner
Autre suggestion : obliger les fournisseurs à intégrer la DLC dans les code-barres. Les distributeurs pourraient ainsi « mieux maîtriser leurs stocks, leurs rayonnages et de faciliter leurs pratiques de stickage et de dons », souligne aussi le rapport de 2019 sur l'application de la loi Garot.
La fiscalité est également un levier à actionner, pour les acteurs de la reprise d'invendus. Pour encourager le don, Phénix appelle ainsi à revoir la loi Aillagon sur la réduction d'impôt pour les dons, en mettant sur le même plan les associations d'utilité publique et celles d'intérêt général, des organisations plus petites et présentes sur tout le territoire. L'entreprise plaide aussi pour mieux prendre en compte les petits magasins, qui atteignent plus rapidement le plafond fiscal, et pour moduler la réduction fiscale en fonction des produits les plus recherchés par les associations et de leur qualité nutritive.
« Au lieu d'accorder des centaines de millions d'euros en déductions fiscales pour des produits à J zéro, ces ventes généreraient une ligne budgétaire que l'Etat pourrait redistribuer pour la précarité alimentaire, en gérant mieux les dates et l'aspect nutritif », Christophe Menez, co-CEO de Smartway
Renforcer la prévention dans les magasins
Christophe Menez, de Smartway, propose quant à lui que les taxes sur les ventes de produits en fin de vie soient fléchées vers la lutte contre la précarité alimentaire. « Au lieu d'accorder des centaines de millions d'euros en déductions fiscales pour des produits à J zéro, ces ventes généreraient une ligne budgétaire que l'Etat pourrait redistribuer pour la précarité alimentaire, en gérant mieux les dates et l'aspect nutritif ». Selon lui, l'effort « s'est beaucoup focalisé sur le don, mais il ne suffira pas à stopper le gaspillage alimentaire dans les magasins ». Il appelle à encourager l'éducation des consommateurs et la prévention du gaspillage au sein des magasins, à travers la formation à la gestion des niveaux de commandes et le développement de zones antigaspi, à prix réduits.
De son côté, la Fédération des Banques alimentaires « croit beaucoup à la sensibilisation : les partenaires avec qui cela fonctionne bien sont ceux qui forment leurs employés, qui ont prévu un espace dans leur entrepôt pour les dons », souligne Barbara Mauvilain, qui appelle à développer la culture du don au sein des entreprises, pour que celui-ci « ne soit pas seulement motivé par les déductions fiscales mais intégré à leur politique RSE ».