Recycler du pain dans une bière, une idée pour le moins originale, voire fantaisiste. Pourtant, ce défi est amplement rempli par Camille Lugol et Romain Bedel. Ce dernier, baigné dans le milieu de la boulangerie depuis son plus jeune âge grâce à son arrière-grand-père, a été directement confronté aux invendus de pain dans la boutique familiale. Les boulangeries font face chaque semaine à environ 50 kilos d’invendus par points de vente, sachant que la ville de Paris possède pas moins de 3000 boulangeries.
La Miche avait donc à cœur de proposer un produit anti-gaspi, qui réponde à une problématique, mais aussi artisanale, de qualité et conviviale pour le côté humain. La potion magique de cette bière se compose donc de pain. Ce painpermet de remplacer 30% de malt, une céréale germée provenant principalement de l’orge. Pour permettre aux clients de consommer cette « bière au pain », La Miche s’est rapproché sur des cavistes, et des épiceries, en compléments des boulangeries. Cette vente dans les boulangeries peut redonner un coup de boost chez les boulangers. Cela a pour but « de pouvoir les aider à se débarrasser utilement de leurs invendus, de ne pas les voir le cœur fendu à devoir jeter leur production », comme le détaille Camille Lugol.
Une bière responsable réalisée en circuit court
Au lancement de la startup octobre dernier, le Premier ministre annonçait la fermeture des restaurants et la mise sous cloche d’une partie de l’économie. Pas découragés, Camille Lugol et Romain Bedel ont lancé une campagne de financement via Ulule, premier site de crowdfunding, avec une réussite pour le moins étonnante : « on ambitionnait un objectif de 400 ventes, et au final nous sommes arrivés à 5100 ventes. On a été très agréablement surpris, alors que la situation n’aspirait pas à beaucoup d’optimisme. Sur le concept, sur toutes les personnes qui ont commandé sur Ulule, on est à 99% de taux de satisfaction, ce qui montre que l’on arrive à fidéliser notre clientèle ».
Vu l’engouement que la bière suscitait, l’équipe a décidé d’augmenter en capacité pour récupérer le maximum de pain avec ses partenaires, et in fine de brasser un maximum de bières. Aujourd’hui, cela représente 12 000 litres, soit 36 000 bouteilles, même si l’intégralité de la production n’a pas encore été écoulée. Sur 5000 litres de bières confectionnées, Camille Lugol estime à 580 kilos de pain revalorisé. Depuis octobre, cela se chiffre à plus d’un million de tonnes de pain recyclé.
C’est une bière réalisée en circuit court, avec les meilleurs ingrédients et produits 100% français, le malt est récupéré à 10km de la brasserie, le pain de Paris, qui est broyé dans le 94, puis amener à la brasserie pour confectionner La Miche. On veut faire d’une bière deux coups, proposer un produit de qualité et permet au consommateur de s’engager à son échelle de la lutte contre le gaspillage alimentaire.
On récupère certains types de pains, on fait attention au grammage, à la farine utilisée, aux graines, on regarde chaque fiche technique, recette. Après le choix de ce que l’on veut récupérer, on le sèche, c’est un procédé complexe avec un matériel spécifique, on le broie en petit copot, puis on l’incorpore à la recette de bière, ce qui permet de remplacer 30% du malt par du pain sécher. Sur 5000 litres, on revalorise 580 kilo de pain. Depuis notre création, c’est 1 million de tonne de pain que l’on a revalorisé.
Un engagement fort au prix du consommateur
L’engagement. C’est le maitre mot, tant chez La Miche que chez les consommateurs. Ce désir de proposer une marque forte veut impliquer le client à lui aussi s’engager, à son échelle, à consommer une boisson saine, en adéquation avec les valeurs qu’il souhaite prôner. En résumé, siroter de plaisir une Miche devant un match de l’équipe de France est un geste responsable, même si l’alcool est à consommer avec modération. Même s’ils coopèrent avec des boulangeries parisiennes reconnues, la startup souhaite mettre en avant l’artisanat et la qualité de leur bière. « Romain vient d’un petit village de l’Aveyron, il est passé dans la meilleure boulangerie de france, donc nous tenons à préserver l’artisanat et le savoir-faire. Et la qualité, parce que nous travaillons avec le haut de gamme, nous récupérons du pain dans des endroits prestigieux, de proximité, pour répondre aux besoins du client ».
Outre ces deux aspects, l’enjeu environnemental est bien évidemment au centre de leur préoccupation. La Miche a compris qu’il fallait modifier la composition des bières traditionnelles, à l’encontre d’une production responsable et écologique. Le malt, provenant de l’orge ou du blé, composant de boissons alcoolisées et surtout de bières, nécessite un apport important d’eau et de divers produits chimiques. Cela permet ainsi d’économiser le bien précieux qu’est l’eau, tout en luttant contre le gaspillage alimentaire, donc de faire d’une bière deux coups.
Les clients semblent plus enclins à modifier leur consommation, oublier ce dogme d’acheter pour acheter, mais remplacé par un modèle plus terre à terre, raisonné et sans doute nostalgique du siècle dernier. La Miche s’inscrit dans ce sens, comme le détaille Camille Lugol : « cette période trouble a été une opportunité pour La Miche, notamment par rapport à la sensibilisation des consommateurs, plus accrue. Mais aussi parce que les gens ont envie de revenir à des valeurs plus simples. Il faut savoir que la bière au pain est une méthode ancestrale d’Egypte antique, nous n’avons rien inventé, on a juste essayé de l’adapter en raison de la situation. »