Le 26 février 2025, au cœur du Salon de l’agriculture à Paris, un événement inattendu a attiré l’attention : cinq dirigeants de la grande distribution française ont présenté des « engagements » destinés à soutenir les agriculteurs en difficulté. Portée par l'animatrice Karine Le Marchand, fervente défenseure du monde agricole, cette initiative a suscité autant d’espoirs que de scepticisme.
Mais dans les faits, que représente réellement ce plan d’action pour les agriculteurs français, et quelles sont les motivations des distributeurs ? Retour sur les principales réactions de cette intervention très médiatisée.
Une initiative conduite par Karine Le Marchand : « Arrêter d'attendre des politiques »
« Depuis 16 ans que je présente L’Amour est dans le pré, j’ai vu passer six ministres de l’Agriculture, et il ne s’est pas passé grand-chose », a déclaré Karine Le Marchand lors de la conférence. Face à la lenteur des réformes et aux difficultés persistantes du monde agricole, l’animatrice a pris les devants en réunissant les patrons de Carrefour, Intermarché, Coopérative U, Auchan et Casino. Une absente notoire : Michel-Édouard Leclerc, dont le groupe E.Leclerc a choisi de ne pas se joindre à cette démarche.
Le message de Karine Le Marchand est clair : « Il faut arrêter d'attendre que les politiques agissent. L'arme suprême, elle vient des consommateurs et de leur porte-monnaie. » Sa vision repose sur un levier puissant : mobiliser les citoyens à travers leurs choix de consommation.
Trois piliers pour soutenir les agriculteurs
Les distributeurs se sont accordés sur trois actions phares, prévues pour 2025.
1. « L'amour est tout près » : aider les agriculteurs en difficulté
Le premier dispositif vise les agriculteurs rencontrant des difficultés financières et employant au moins deux salariés hors saisonniers. Ces derniers pourront vendre directement leurs produits dans les enseignes partenaires situées à moins de 100 km de leur exploitation. Karine Le Marchand précise : « Le prix ne sera pas négocié, il n’y aura pas d’intermédiaire, et ils seront payés sous 30 jours. »
Pour Dominique Schelcher (Coopérative U), cette mesure est un geste concret : « On va leur ouvrir les portes de nos magasins pour écouler leur production, au prix qu’ils fixeront eux-mêmes. »
Un label spécifique, « L’amour est tout près », sera affiché sur les produits pour inciter les consommateurs à soutenir cette démarche.
2. Une « alerte surproduction » pour faire face aux excès de production
Les aléas climatiques et les fluctuations du marché provoquent régulièrement des surproductions, notamment de fruits et légumes. Alexandre Bompard (Carrefour) explique : « Cela entraîne des déséquilibres de marché et le prix s'effondre, dégradant ainsi le revenu des agriculteurs. »
Pour pallier ces crises, l’établissement public France Agrimer pourra déclencher une alerte lorsque les prix chuteront de 15 à 20 % sur plusieurs jours. L’objectif est double : informer les consommateurs et stimuler la demande pour absorber les excédents.
« Nous avons besoin que les grands organes de presse s'engagent », plaide Bompard. De son côté, Karine Le Marchand sollicite la mobilisation des médias : « On va demander aux médias d’être partenaires. Ce sont les consommateurs qui auront le plus grand pouvoir. »
3. Création d'un « observatoire des filières d’avenir »
Dernier pilier de cette charte : la mise en place d’un observatoire pour identifier et soutenir les filières agricoles en devenir. Cet outil vise à orienter les agriculteurs vers la diversification et à anticiper les besoins du marché. Karine Le Marchand donne rendez-vous en 2026 pour un premier bilan : « J’espère qu’au prochain Salon de l’agriculture, nous pourrons présenter un véritable rapport. Nous allons créer un observatoire. »
L’absence remarquée de Michel-Édouard Leclerc : divergence de stratégie
Le leader de la grande distribution, E.Leclerc, n'a pas participé à cette initiative. Karine Le Marchand regrette cette absence : « Problématique, car au départ, nous avions prévu un quatrième pilier sur la transparence de l’origine France, que nous avons dû abandonner. »
De son côté, Michel-Édouard Leclerc qualifie l’initiative de « bonne » mais rappelle que son enseigne dispose déjà de dispositifs similaires. Il précise : « C'eût été contre-productif de faire comme si on lançait cette initiative… Nous avons déjà des réseaux de producteurs locaux bien structurés. »
Alexandre Bompard reste confiant : « Il n’est pas là ce matin, mais il sera là demain. Les consommateurs en tireront les conséquences ».
NON, ce n'est pas un "coup de communication", nous n'avons pas besoin de cela pour agir avec le monde agricole !
— Dominique Schelcher (@schelcher) February 25, 2025
Quel dommage que cette posture et ces critiques permanentes... Il y a des discussions commerciales d'un côté, et une belle opération collective de soutien de nos… https://t.co/wsVTXrj52F
Des critiques acerbes de la part des industriels
Si cette initiative a été saluée par certains, elle n’a pas échappé aux critiques des industriels. Alors que les négociations commerciales s'achèvent le 1er mars, François-Xavier Huard (Fnil) a lancé avec ironie : « L’amour est peut-être dans le pré, mais pas dans les salles de négociations. »
L’Association nationale des industries alimentaires (Ania) dénonce ce qu’elle considère comme un « énième coup de communication des distributeurs pour détourner l’attention. »
Ces tensions rappellent que la grande distribution, qui absorbe 36 % de la production agricole, joue un rôle clé mais controversé dans la chaîne alimentaire.
Cette initiative suscite une question centrale : s’agit-il d’un véritable plan de soutien ou d’un coup de communication ? Karine Le Marchand répond sans ambages : « Je ne suis pas politisée, je ne suis pas un industriel et je fais tout bénévolement. Je le fais avec sincérité, et je pense que les agriculteurs la perçoivent. »
En définitive, la réussite de cette charte dépendra de la mobilisation des consommateurs et de la volonté des enseignes à faire perdurer ces engagements au-delà de l’effet d’annonce. Alors que le gouvernement prévoit de réviser les lois Egalim avant l’été, la question de la juste rémunération des agriculteurs reste plus que jamais d’actualité.
Rendez-vous est pris en 2026 pour mesurer si ces promesses se sont transformées en réalité durable pour le monde agricole.