2024 aura été marqué par des restructurations d'enseignes. La cession de plus de 250 magasins Casino à Intermarché, Auchan, et Carrefour représente un bouleversement majeur pour le secteur.
Noël Zierski, expert et fin observateur du retail, nous livre son analyse de cette dynamique et des défis qui en découlent pour les enseignes acquéreuses. C'est le deuxième épisode de cette série après un sujet sur le déclin des intégrées.
La débâcle de Casino : une illustration de la financiarisation à l'excès
Pour Noël Zierski, cette redistribution des cartes est avant tout « la conséquence de la débâcle au sein du groupe Casino ». Il revient sur l’ampleur de ce cas emblématique, d’autant plus marquant pour lui qu’il est originaire de Saint-Étienne, ville d’origine de Casino : « Même si je n'ai jamais travaillé pour Casino, j'ai été très triste de voir ce qui se passait pour le groupe ». Selon lui, l’histoire de Casino est symptomatique des dérives de la financiarisation dans les groupes intégrés. Il explique : « Dans le cas du groupe Casino, on a à la fois un homme, Jean-Charles Naouri, qui a construit toute une cascade de holdings et qui s'est endetté à chaque fois pour jouer sur les effets leviers ».
Cette stratégie, selon Noël, a imposé une pression colossale sur le groupe pour générer des dividendes et rembourser les dettes. La conséquence ? « On augmente les prix en espérant maximiser les marges, sauf que ce n'est pas parce qu'on a une marge unitaire élevée sur un produit que les gens vont l'acheter », précise-t-il. Une leçon que Jean-Charles Naouri et son équipe, estime-t-il, n’ont pas pleinement comprise.
À cela s’ajoute une diminution des investissements dans les magasins, entraînant une démobilisation des équipes et une perte de compétitivité. « Cette redistribution des cartes n'était pas obligatoire », conclut Noël, « c'est juste la faillite d'un système ».
L'opportunité pour Intermarché et les Mousquetaires
Dans cette débâcle de Casino, Noël voit en revanche une stratégie magistrale de la part d’Intermarché et des Mousquetaires :
« Thierry Cotillard et les Mousquetaires ont été très forts sur ce sujet. Il y avait une opportunité de racheter des magasins Casino [...] ils ne pouvaient pas tout racheter, donc ils se sont rapprochés d'Auchan pour faire une offre commune ».
Cette approche stratégique leur a permis de remporter l’acquisition d’un nombre important de points de vente.
Pour Noël, l’opération a offert aux Mousquetaires l’opportunité de « gagner 10 ans de temps pour gagner des parts de marché ». La transition des magasins Casino vers l’enseigne Intermarché s’est d’ailleurs opérée rapidement et efficacement. « Rien qu’en baissant les prix, les clients reviennent », observe Noël, soulignant le pouvoir de la compétitivité tarifaire dans la fidélisation de la clientèle. En passant sous les enseignes Intermarché et Netto, ces magasins profitent désormais du savoir-faire des Mousquetaires, renforçant ainsi leur attrait sur le marché local.
Par ailleurs, Noël souligne que cette concentration dépasse la simple acquisition de parts de marché.
« Derrière cette obsession des parts de marché, il n'y a pas seulement le souhait de remporter la coupe, il y a aussi des enjeux pour augmenter sa puissance d'achat », explique-t-il.
En agrandissant leur réseau, les enseignes acquéreuses, comme Intermarché, renforcent leur position pour négocier avec les fournisseurs, optimisant ainsi leur compétitivité globale.
Une réorganisation plus complexe pour Auchan
Si Intermarché semble avoir bien négocié cette transition, la situation est plus nuancée pour Auchan, selon Noël. « Bon, chez Auchan, c’est un petit peu plus compliqué », note-t-il, avant de laisser entendre que cette enseigne pourrait faire face à des défis internes plus conséquents. La restructuration rapide et l’intégration de nouveaux points de vente semblent poser des défis organisationnels.
En résumé, la carte du retail se reconstruit. Pour notre invité, cette vague de concentration dans le secteur du retail français redessine les lignes de force entre les enseignes. La débâcle de Casino illustre les risques de la financiarisation excessive, tandis que la stratégie de reprise d’Intermarché marque un mouvement gagnant pour les indépendants, qui se positionnent comme des acteurs de poids dans le paysage concurrentiel. « Le match n'est pas fini », rappelle Noël, mais cette opération pourrait bien changer durablement l'équilibre du marché.