Il y a quelques jours, nous avons partagé une large enquête sur la perception du temps en grande distribution. Une façon de comprendre le quotidien, des employés, des managers, des directeurs qui vivent chaque jour le commerce quotidien. Cette enquête inédite menée auprès de plus de 800 salariés du secteur soulève de nombreuses interrogations sur le futur des métiers de la grande distribution. Comment ses 20 dernières années ont-elles changé la vision des métiers du commerce ? Comment expliquer le fossé entre deux générations où la vision du travail les oppose ?
Dans cet article, on revient sur les grandes mutations des métiers du commerce.
Des managers promus pour leur efficacité, et non pour leur talent de manager
En France, et pas qu'en grande distribution d'ailleurs, le management est perçu comme une promotion et non comme une compétence. Cette phrase peut expliquer à elle seule les frictions que les salariés peuvent connaitre sur le terrain.
La promotion des managers tient plus à leurs aptitudes organisationnelles de managers (ou justifiant d'un diplôme) qu'à leurs performances managériales. Le manager d'aujourd'hui réclame des compétences solides comme l'écoute, la bienveillance, l'intelligence émotionnelle... Si on veut intégrer la nouvelle génération à ces métiers, ces compétences sont indispensables.
On peut ajouter dans les compétences nécessaires aux managers celle :
- de l'authenticité et de l'intégrité qui consiste à maintenir sa vision et de rester proche de ses valeurs ;
- ou encore celle de l'esprit de décision ou aussi appelé le « courage managérial ». Par ce terme, il faut comprendre la capacité à prendre des décisions difficiles et à les assumer.
Le top management s'est trop éloigné du terrain
Cet aspect peut faire grincer des dents, mais c'est ce qui ressort également de l'enquête. Les employés et managers ne veulent plus être de simples exécutants de décisions prises par la hiérarchie ou par le siège. Le manque d'écoute revient souvent dans les commentaires reçus : « nos dirigeants doivent remettre les salariés au cœur de leurs décisions pour durer dans le temps », explique ici ce manager d'une enseigne intégrée.
« De nombreuses décisions sont trop souvent conceptuelles et majoritairement basées sur des indicateurs de gestion, ce qui bien évidemment est défendable, mais pas toujours réaliste d'un point de vue organisationnel », explique un gérant de magasin, « certaines décisions ne sont pas en phase avec la gestion humaine », poursuit-il en évoquant la résistance au changement de ses équipes qui peut être mise en péril.
Pour illustrer cet éloignement du terrain, l'enquête démontre d'ailleurs que les irritants clients sont fréquemment les tâches négligées : « ces préoccupations ne sont que rarement celles du Top Management », excepté certains dirigeants qui en ont fait leur cheval de bataille dixit notamment le 5-5-5 de Rami Baitieh chez Carrefour.
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Avoir des bras ne suffit pas (ou ne suffit plus)
La grande distribution a longtemps pensé que le nombre de bras disponibles améliorait la productivité des équipes. C'est faux. Étoffer des équipes ne résout en rien les problèmes d'organisation.
Recruter des équipes implique déjà de bien les choisir (et non pas embaucher, pour embaucher), de les intégrer, de les former. Cette période, qui doit durer à minima 6 mois, est trop souvent négligée. Si cette étape est mal exécutée, une démission ne fait guère de doute et pour le magasin c'est... bis repetita.
« C’est difficile d’attirer des candidats, alors quand on réussit le faire, si on ne donne pas une bonne impression dès le départ, il y a une chance sur deux de le perdre », résumait ici Romain Breux dans un podcast sur le sujet de l'onboarding en grande distribution.
Pour cet autre manager, le constat se veut très pessimiste : « la situation des métiers en grande distribution est très complexe. De un par la multiplication des contraintes d’effectif, de temps, de moyens matériels ; et de deux par le manque de fiabilité des approvisionnements et le manque de performance des logiciels qui ne servent rien à aider les équipes », regrette-t-il en soulignant que les outils « n'ont pas beaucoup évolué ces dernières années ».
Le présentéisme, la meilleure publicité de l'absentéisme
Les plus anciens ont sans doute déjà entendu la phrase « il ne faut pas compter ses heures », autrement dit, si tu veux réussir en grande distribution il fallait - on parle ici au passé - faire preuve d'investissements, de rigueur, d'implication. Il fallait « donner à l'entreprise » pour espérer obtenir quelque chose en retour.
Ce présentéisme a depuis fait place à son contraire : l'absentéisme. À vouloir insister à travailler dur pour réussir dans ces métiers, l'absentéisme a fini par gagner les rangs et devenir une habitude auprès des salariés : « l'absentéisme fait de grands dégâts pour gérer les tâches à réaliser aujourd'hui », soutient ici un manager qui remarque que cette pratique « s'est répandue ces dernières années ».
La culture du résultat a disparu
À ce détournement des objectifs de l'entreprise, la culture du résultat a elle aussi disparue : « j'ai connu des magasins où la culture du résultat était très forte », commente ici un gérant de magasin, faire du commerce « c'est impliquer les équipes vers la performance pour les faire grandir et progresser au quotidien », résume un autre confrère.
Cela a bien changé.
Le rapport au travail a changé et la grande distribution ne fait pas exception : « c'est un métier chronophage, qui n'attire pas les jeunes, car il y a un sentiment d'exploitation », explique ici un dirigeant.
Le métier de manager s'écrit en pointillé
Alors forcément, quand on évoque tous ces grands changements en cours en grande distribution, certains managers s'interrogent sur la suite de leur métier : « le monde d'aujourd'hui ne pourra pas se passer de ce mode de consommation, mais il sera très dur de trouver des gens volontaires, fiables... », affirme déjà ce manager.
D'autres vont même à penser que « la ligne hiérarchique "manager de rayon" disparaitra dans les 10 ans qui viennent » : « il en restera oui, mais il y en aura moins. Ils se contenteront de superviser, d'organiser et c'est tout », regrette ce manager.
Pour aller plus loin, certains constatent même une forte décadence. : « je pense que les magasins sont en train de se vider de leur effectif » tout en reconnaissant que c'est « difficile à chiffrer ».
Intégrer la technologie pour proposer une nouvelle façon de travailler en grande distribution
Toujours est-il qu'il devient difficile de garder un semblant d'optimisme. Les tensions sur les métiers offrent un boulevard à l'arrivée de nouvelles pratiques et de nouvelles technologies. On pense notamment à l'arrivée de l'intelligence artificielle pour résoudre des tâches redondantes comme détecter des ruptures en rayon, automatiser des prises de commandes, repérer les dates courtes en rayon, faciliter l'inventaire, contrôler la fraicheur des fruits et légumes, détecter les erreurs de prix, etc. L'arrivée de ces nouvelles méthodes de travail sera néanmoins irréversible et il sera impossible de redorer les métiers du commerce une fois installé.
Expérience collaborateur > Expérience Client
Le commerce de demain privilégiera l’expérience collaborateur avant l’expérience client. De nombreux de directeurs / managers expliquent actuellement avoir toutes les peines du monde à recruter des candidats. Or, peu se pose vraiment la question de comment conserver les meilleurs éléments.
Fidéliser est aujourd'hui plus important que recruter :
- La fidélisation d’un salarié diminue le turnover dans l’entreprise ;
- La fidélisation évite de devoir recruter ;
- La fidélisation permet de retenir les talents.
Quelques solutions pour faciliter la vie des salariés
Si cela est plus facile à dire qu'à faire, ils existent des solutions utiles pour faciliter la vie des salariés. Pêle-mêle :
- Prolonger l'étape de l'onboarding (au moins 6 mois)
- Réaliser des sondages réguliers en interne
- Donner plus de souplesse dans la gestion du planning
- Encourager l’engagement des salariés dans les actions RSE
- Veiller à la qualité de vie au travail (comme prévenir les TOC)
- Améliorer la communication interne
- Proposer un plan de développement des compétences complet
- Faciliter l’accès aux loisirs sportifs pour les salariés
- Assurer des formations continues
- Encourager un management responsable et adopter un style de management adapté à chaque salarié
- Accorder des jours de congés maternité / paternité supplémentaire
- Impliquer les employés dans la prise de décisions
- Prévoir des temps de pause pour développer la culture d'entreprise