Depuis son arrivée en 2017 à la tête de l’enseigne, Alexandre Bompard a dû faire face à des choix importants pour permettre à l’enseigne française de retrouver des couleurs.
Cinq plus tard, en 2022, Carrefour a présenté des résultats encourageants, non sans quelques sacrifices, retrouvant ainsi une rentabilité lui permettant d’accélérer sa transformation numérique. De bon augure pour un des fleurons de l’économie française et le premier employeur du pays.
Pour y parvenir, plusieurs mesures fortes ont été appliquées. Parmi elles, des coupes dans les effectifs, le passage en location-gérance de certains de ses magasins et les nombreux investissements dans le numérique.
Ces efforts ont permis à l’enseigne de devenir à nouveau “sexy” aux yeux des investisseurs : Couche-Tard, le canadien, a d’ailleurs tenté une offensive avec la politique française s’en mêle ; et plus récemment, l’idée d’un mariage Auchan-Carrefour a créé l’illusion d’un grand chamboulement sur le marché français. Tentative depuis avortée, mais loin d’être abandonnée.
Nous avons recoupé les grands axes du plan de transformation de l’enseigne de ces dernières années pour identifier les grands chantiers qui ont permis à Carrefour de retrouver le sourire.
Retour de la proximité dans les hypermarchés
Carrefour a eu l’idée de rendre l’hypermarché plus accessible. Bien loin de l’image des temples gigantesques de la consommation, l’enseigne a souhaité remettre l’humain au coeur du point de vente.
Première initiative, les clients ont la possibilité depuis quelques mois de contacter la direction du magasin via une ligne directe affiché à l'entrée du magasin : « les clients nous remontent des informations, des réclamations », nous avait d’ailleurs confié Amandine Levine au sein du podcast. Les clients peuvent appeler, envoyer des SMS s’ils ne trouvent pas satisfaction. Carrefour a adopté cette idée dans la majeure partie de ses hypermarchés en France
Deuxième initiative et signe de cette volonté de se rapprocher de ses clients, l’enseigne a récemment misé sur les blablabla caisses. Le concept, né au sein de l’enseigne Jumbo en 2019, invite les clients à prendre le temps et de papoter quelques minutes avec l’hôtesse. On est bien loin de l’automatisation.
Enfin, même argument cette fois le déploiement de caisses pour enfants permettant à ces derniers d’encaisser leurs parents en remplaçant l’hôtesse de caisse le temps de quelques minutes. L’idée est de créer un lien avec les clients en proposant une expérience différente et rendre ce moment plus ludique : « nous avons des clients qui viennent exprès le mercredi après-midi », a commenté d’ailleurs cette responsable caisse au sein de l’enseigne.
Réduction agressive des coûts...
Bien évidemment, une transformation d’une entreprise passe nécessairement par quelques sacrifices, notamment sur le volet social. En 2018, Carrefour avait fait le choix de supprimer plusieurs milliers d’emplois via un plan de départs volontaires, 2400 postes précisément, qui concernait les métiers au siège de l’enseigne. Un choix difficile à l’époque, mais nécessaire pour amorcer ce fameux « plan de transformation ».
Cette réduction importante des effectifs a permis à l’enseigne de retrouver sa compétitivité prix et d’investir enfin dans le retard accumulé sur le e-commerce, là où ses principaux concurrents ont pris une longueur d’avance dès le début des années 2010. Résultat : en 2020, Carrefour a par exemple réalisé 3 milliards d'euros de réductions de coûts.
Une réorganisation du travail des équipes en magasin
Parmi les sujets qui reviennent quand on interroge les professionnels des magasins, le projet Top est souvent au coeur des discussions. Le projet vise à améliorer la productivité des équipes terrain et à supprimer les irritants (ruptures, erreur d'étiquetage).
En 2021, le projet Top a été déployé dans de nombreux hypermarchés. Si le projet ne fait pas toujours l’unanimité au sein des équipes (perte d’autonomie, moins de responsabilités), il permet néanmoins de supprimer les nombreux irritants : « le projet top est avant tout un projet d’équipe. D’un côté, chacun a son rôle précis et ça ne plaît pas à tous ; de l’autre les réserves sont vides et rangées », assure ce manager d’un magasin de l’enseigne.
La fin de l’aventure de Dia et la vente des magasins en Chine
Carrefour a également dû faire des choix concernant certains magasins en France et dans le monde.
C’est ainsi que Carrefour a cédé DIA. Loin d’être l’affaire du siècle (car acheté pour la somme de 645 millions d’euros), les 272 magasins du réseau accumulaient les pertes. Désireux de s’en séparer dès 2018, seulement 29 magasins ont été repris, faute de repreneurs pour une grande majorité d’entre eux.
Même combat avec les magasins Carrefour en Chine. En 2019, après 24 années de présence, l’enseigne a fait le choix de céder ses parts à une filiale du groupe pour la somme de 620 millions d’euros.
Une croissance via son parc international
Le redressement de Carrefour s’explique également par la croissance de ses magasins sur des marchés hors France.
Au Brésil par exemple, l’ensemble 489 magasins permettent d’atteindre une croissance de +4,6% (variation hors essence hors calendaire).
Belle progression aussi en Argentine (+50%), en Pologne (+3%) et en Roumanie (+2%)n comme expliqué ici.
Le passage en location-gérance des magasins déficitaires
Décision phare de ces 4 années de plan de transformation, Carrefour a également fait le choix de se séparer de certains de ces magasins déficitaires en les confiant à des entrepreneurs, souvent issus de l’enseigne, afin qu’ils deviennent indépendants.
Ce passage en location-gérance amène son lot de mauvaises et de bonnes nouvelles. Il consiste à signer un accord à long terme avec ces gérants de magasin pour utiliser l’enseigne Carrefour. Ce schéma redonne aux magasins une forme de flexibilité (choix des produits, des promotions, autonomie dans le recrutement), tout en les décongestionnant de certains avantages historiques propres à l’enseigne.
En effet, revers de la médaille pour une partie de ses magasins, de nombreux avantages sociaux sont supprimés au détriment des collaborateurs tels que les congés payés lorsqu'un enfant est malade, des réductions sur les courses, des primes annuelles, les avantages du comité d'entreprise, la fin des formations internes diverses ou encore les chèques vacances.
Si la perte des avantages pour les salariés amène souvent des départs de collaborateurs, l'activité observe un regain intéressant, de quoi entrevoir une éclaircie derrière la « casse sociale ».
Du côté des points positifs, l'indépendance des magasins amène avec elle une influence positive pour les magasins : « le modèle encourage la polyvalence, on touche à plus de choses, on se sent moins enfermé dans une case », explique ce manager. Beaucoup de directeurs et managers interrogés expliquent que le passage en location-gérance a eu des effets bénéfiques : « oui on perd en avantages, mais depuis 2018, ça n'a jamais été aussi bien que maintenant : nous avons plus de libertés dans nos actions, nous avons plus d'autonomie, plus de responsabilités ».
Constat similaire pour ce responsable qui explique que depuis deux ans maintenant, le magasin « n'a jamais aussi bien tourné depuis le passage en location-gérance ».
Des économies nécessaires pour investir massivement dans le numérique...
La grande distribution est un vieux modèle. Pour réussir sa transition forcée vers ce qu’on peut appeler le "commerce de demain", les enseignes doivent investir vers des outils, des compétences, des logiciels, qu’elles ne détenaient pas jusqu’à présent, au détriment parfois de l’humain.
Carrefour n’en déroge pas à la règle. Les suppressions d’emplois ont permis non seulement de faire des économies et surtout d’investir en masse dans l’acquisition de logiciels, l’exploitation d’entrepôt dernière génération (comme celui du Plessis-Pâté développé via Exotec) et de professionnels sur les sujets numériques (l’arrivée d’Élodie Perthuisot à la tête de la transformation digitale de l’enseigne n’y est pas anodine).
Des investissements pour permettre l’essor du e-commerce
Autre pôle d’investissement massif, l’e-commerce est celui qui affiche la plus belle croissance. Carrefour a en effet investi massivement pour conquérir les consommateurs sur le terrain du numérique.
L’enseigne a déployé la commande par internet et la livraison à domicile, cela menant à une croissance de + 19% comparé à 2020 et +80% comparé à 2019. Cela étant, le taux de pénétration reste faible face à une concurrence omniprésente. En effet, l’e-commerce représente seulement 4% du chiffre d’affaires de l’enseigne à ce jour. En soi, c’est presque anecdotique comparé aux résultats de ses hypermarchés.
Pour poursuivre cette croissance, l’enseigne mise également sur le Quick Commerce. Son partenariat avec la start-up Cajoo est le signe que l’enseigne croit en cette solution pour livrer les courses alimentaires des clients de demain.
Un réinvestissement dans les hypermarchés et les yeux rivés sur la satisfaction client
Comme dit précédemment, le coeur du réacteur provient des hypermarchés. Le commerce physique demeure encore incontournable dans le chiffre d’affaires de l’enseigne.
Pour affirmer sa volonté de croire en ce modèle, Carrefour a réinvesti quelques efforts pour faire de ces temples de la consommation des lieux de vie. De nouveaux aménagements sont venus garnir les espaces de vente métier : un comptoir à sushi trône désormais à côté de l’espace traiteur ou des espaces prix bas ont été installé pour soigner l’image-prix.
L’enseigne suit aussi scrupuleusement le NPS, le Net Promoter Score, afin de piloter en temps réel la satisfaction client : « on s’en sert comme une boussole de la satisfaction client si bien qu’on ne parle plus de CA, de marge ou de démarque. On ne parle que de NPS », indique ce responsable.
Ce NPS est devenu si important qu’il permet même de distribuer des primes aux équipes en fonction des notations : « le NPS rentre dans la prime de l'intéressement. Au sein de notre Carrefour (à Chartres), nous avons on a eu 570 euros de prime d'intéressement grâce au nps... », confirme cette employée.
Changement de mentalité : Carrefour est devenu l’enseigne conquérante des futurs territoires d’innovation
Néanmoins, malgré le redressement annoncé, Carrefour a perdu des points parts de marché, et ce face à une concurrence rudement agressive en France. Et pour cause : d’une part, les enseignes indépendantes sont solidement installées sur ce marché de la grande distribution alimentaire ; et d’autre part les discounters Lidl et Aldi intensifient leur présence en France.
Pour se différencier et ne plus avoir à rattraper quelconque retard, l’enseigne prend les devants, quitte à prendre des risques. L’enseigne est devenue un laboratoire à ciel ouvert.
Carrefour Flash est par exemple né de la volonté de proposer une nouvelle expérience à ses consommateurs et contrecarrer les ambitions d’Amazon d’un commerce sans vendeur.
L’enseigne s’est également lancée dans le théâtre encore méconnu du Métavers, le futur terrain de jeu virtuel des GAFA, en achetant une parcelle de quelques centaines de m2 de pixel pour près de 300 000 euros. Pour le moment, cela reste un peu de la science-fiction et nul ne sait vraiment ce qu’il adviendra de ce territoire. #WaitAndSee
Ces quelques faits d’armes démontrent la politique d’innovation de l’enseigne dans un monde où ce qui compte dans une transition numérique c’est de prendre prendre place dans un wagon à défaut de ne pas toujours connaître la destination finale. L'entreprise présentera son nouveau plan de transformation au cours de l'année 2022. À suivre.