« Ils paraissaient indétrônables. Le modèle a fait son temps », introduit dès les premières minutes le documentaire. Réalisé par le journaliste Rémi Delescluse, le documentaire « Hypermarchés, la chute de l'empire » dresse un portrait d'un monde souvent pointé du doigt.
« Ce qui est grand ne fait plus rêver. La grande distribution est associée à une forme de déshumanisation du commerce, associé à la surconsommation à un moment où on prend conscience des enjeux écologiques de notre modèle de consommation », explique notamment Philippe Moati.
Le secteur contrôle aujourd'hui « 70% des ventes alimentaires en Europe », alors forcément le marché suscite des convoitises et voit l'arrivée de nouveaux acteurs.
Nous avons regardé ce documentaire et retenons 6 infos.
La santé économique du secteur est fragilisée
Le modèle des prix bas ne fonctionne plus. Pour l'illustrer, le documentaire s'est rendu au sein du Carrefour Market d'Audin-le-Tiche dont le dirigeant explique qu'« aujourd'hui les magasins doivent faire des efforts sur la mécanique promotionnelle pour pouvoir attirer les clients et c'est quelque chose dont on ne plus se passer ». Une politique qui a soutenu la concurrence entre les enseignes et tiré les prix vers le bas. Une bonne chose pour les consommateurs ; moins bien pour le résultat final.
Car contrairement aux idées reçues, un Hypermarché réclame des frais de fonctionnement élevés que la seule marge des produits ne suffit pas à couvrir, « si on dégage 50 000 euros de bénéfices c'est très bien », rapporte le patron du magasin. Une situation complexe pour un supermarché de cette taille qui, malgré ses 17 millions d'euros de chiffres d'affaires réalisées, peinent à entrevoir une forme d'enthousiasme sur l'avenir économique du magasin : « la situation ne peut pas durer deux ans, c'est très dangereux pour les emplois de chacun et la santé des entreprises », confirme-t-il.
En Carrefour a voulu faire payer un surcoût à ces fournisseurs pour ses magasins de proximité
Pour illustrer le bras de fer tendu entre les fournisseurs et les distributeurs, le documentaire fait intervenir Jérôme Coulombel, « ancien top 100 des cadres les plus importants du groupe » et actuellement « en conflit avec l'enseigne », cite le documentaire. L'ancien cadre décrit son ancienne position comme « un poste clé. Quand on touche aux fournisseurs, on touche à la centrale nucléaire de la grande distribution alimentaire », décrit-il.
Il y est évoqué la RCDP, traduisez remise complémentaire de proximité. La RCDP visait à faire financer (en 2016) les approvisionnements de ces magasins urbains et/ou de proximité, car cela nécessite un surcoût important pour eux. La remise vise donc à les faire supporter aux fournisseurs.
La remise était presque imposée et est un prérequis à l'ouverture à la négociation. En cas de refus, l'enseigne mettait en place une série d'actions visant à « faire plier les marques récalcitrantes » : de la « rupture des contacts avec les équipes commerciales », à « retirer les produits des catalogues promotionnels », tout en remontant à la « phase rouge qui commence par un déstratage » : ce la consiste à « mettre de côté certaines gammes de produits pour affaiblir les fournisseurs », explique Jérôme Coulombel, jusqu'à « l'ultime sanction » appelée « typex » qui consiste en un « déréférencement partiel ou total ». Le documentaire explique les détails de ce « plan de rétorsion » mis en place à l'époque.
Les franchisés Carrefour, les « vaches à lait » de l'enseigne
Les magasins de proximité de l'enseigne Carrefour constituent la branche d'activité en pleine croissance économique au sein de l'enseigne. Sur les 5300 magasins de l'enseigne, « 85% sont franchisés », précise toujours l'ancien cadre du groupe Jérôme Coulombel.
Le documentaire revient avec insistance sur cette branche d'activité en se rendant au Carrefour City du Mans dirigé par Sylvain Couvreux. Le gérant explique dans un premier temps avoir enseigne choisie, car « elle lui annonçait une bonne rentabilité ». Engagé contractuellement pour 99 ans avec l'enseigne, le gérant assure ne pas s'en sortir financièrement.
Si le gérant « ne se plaint pas du chiffre », il met en avant les questions de rentabilité du format : « on ne peut pas se plaindre du chiffre, le problème c'est qu'on n’a pas la marge qui l'accompagne. Sur 2,2 millions de chiffres d'affaires, le magasin réalise un résultat de 17 000 de chiffre d'affaires », souffle-t-il. Ce dernier pointe pour exemple les contrats mis en place par l'enseigne pour acheter la marchandise : « on achète nos marchandises beaucoup trop cher », s'exaspère le gérant, « si je prenais mon camion et que je vais faire mes courses en hyper, je gagnerai mieux ma vie en revendant la marchandise », poursuit-il.
Pour Jérôme Coulombel, le constat est alarmant pour ces franchisés, ceux qu'ils qualifient comme « les petites fourmis » sont les « vaches à lait » comme elles sont décrites en interne selon l'ancien cadre. Ces franchisés sont « la branche d'activité qui permet à Carrefour de garder la tête hors de l'eau en France ». Le documentaire insiste sur le système mis en place par Carrefour « pour s'accaparer la marge de ses franchisés », explique le journaliste.
Parallèlement, le gérant alerte sur les conséquences sociales : « on dirait que j'ai une grosse équipe, mais non. J'ai que deux CDI, puis des stagiaires et des apprentis. Non seulement on ne peut pas les embaucher, mais surtout on ne les rémunère pas », décolère le gérant.
Pour se défendre, Carrefour explique que ces magasins sont « minoritaires ».
Amazon, le futur mastodonte du marché de l'alimentaire
Bousculés, les magasins doivent aujourd'hui faire face à une concurrence nouvelle : « l'arrivée de nouveaux acteurs fragilisent la grande distribution à un moment où le secteur a besoin d'investir dans la modernisation de leur parc de magasins et dans leur révolution numérique, car ils ont pris un retard considérable », explique notamment Philippe Moati, professeur d'économie.
Parmi les concurrents, le géant Amazon a des vues sur le marché de l'alimentaire et ambitionne d'être un commerçant total.
Déjà en rachetant Whole Foods aux États-Unis, Amazon a montré son intérêt pour la grande distribution : via cette acquisition « Amazon a acquis des compétences en matière d'achat, de réseau, de fournisseurs », explique un expert et finis par apprendre le métier d'épicier.
Puis Amazon Fresh est arrivé, un concept sur mesure de taille moyenne où le groupe propose ses marques de distributeurs dans l'ensemble de ses rayons : « le groupe a créé un écosystème de consommation où le physique et le numérique ne font plus qu'un », explique le journaliste.
Amazon mise aujourd'hui sur ces nouveaux formats de magasins connectés et investit énormément pour prendre une longueur d'avance sur les comportements d'achats. L'investissement de départ est certes colossal, mais a les armes pour devenir le premier groupe alimentaire aux États-Unis : « depuis le début, c'est la stratégie d'Amazon. Celle de perdre énormément d'argent et compter sur le fait que les autres entreprises qui ne peuvent pas en perdre autant vont sombrer. Quand elles seront tombées, Amazon compte dominer le marché ».
En Chine, une grande distribution pilotée par la data et des magasins connectés
En Asie, « les géants du numérique ne se contentent d'ouvrir des magasins », explique le journaliste, « ils veulent également mettre la main sur toute la chaîne d'approvisionnement ».
Le numéro 2 chinois derrière Alibaba, JD.com, spécialisé dans la logistique, cible avec ses magasins une nouvelle génération de chinois hyper connectée. L'enseigne est capable de fournir une base de données à partir d'éléments de confiance rationnels bâtie « sur des chiffres, des données. JD.com est capable de fournir des données importantes sur ses clients », explique un ancien cadre de Walmart en Chine.
Dans ses magasins, JD.com a supprimé les employés de caisse. Les employés sont en partie dédiés à la préparation des commandes. Les commandes sont expédiées via des véhicules électriques autonomes.
Le documentaire explique à quel point les géants du numérique bousculent un marché qui n'a pas encore connu sa révolution.
L'agriculture chinoise mise sur l'intelligence artificielle pour optimiser leur rendement
En Chine, l'agriculture subit une profonde transformation. Dans de vastes serres, les géants du numérique soutiennent l'ambition d'optimiser les rendements des productions, d'être plus compétitif et de baisser les coûts de production via l'intelligence artificielle. L'exemple sur les salades est criant, mais celui sur l'élevage est stupéfiant. Alibaba développe en effet un programme pour améliorer leur productivité : « dès la naissance, une puce est activée dans chaque animal. Elle permet de suivre en temps réel la santé de chaque porc ». Des caméras et des capteurs enregistrent également chaque moment de vie de ces animaux pour améliorer leur survie.
Ce qu'on aurait aussi pu retenir :
- que les négociations fournisseurs et distributeurs soulèvent de nombreuses questions éthiques pour déstabiliser les industriels ;
- que toutes les enseignes sont intégrées dans de super-centrales européennes afin d'asseoir leur puissance et leur pouvoir de négociation ;
- le commerce devrait continuer à détruire des emplois peu qualifiés dans les années qui viennent.