Comme des yeux situés un peu partout dans le magasin, rivés sur la moindre rupture pour alerter les équipes en magasin du moindre manquement. Ce projet, aux accents de big brother façon grande distribution, a séduit l'enseigne Casino au point de déployer le système dans près de 400 magasins en France afin de lutter contre un éternel irritant en magasins, les ruptures. À ce jour, deux autres projets sont semblables en Europe, Métro en Ukraine et Rewe en Allemagne.
Pour bien comprendre le concept, les caméras - en vérité, ce sont des appareils photos - sont installées au niveau des rayons alimentaires (épicerie, liquide) et certains rayons non alimentaires comme le DPH. Éloignées d'environ 3 mètres les unes des autres, elles prennent des photos toutes les 10 minutes pour l'équivalent de 300 à 400 produits dans leurs champs de vision. Loin d'être discrètes, on en compte environ 4 à 6 par allée. Pour certains magasins, cela revient à installer jusqu'à 100 caméras.
Le dispositif revêt plusieurs rôles :
- détecter les produits dès lors qu'ils sont en rupture et remplacer le travail de détection effectué « à l'oeil » des équipes ;
- le système permet d'alerter les équipes chargées de la mise en rayon : connectées à l'outil interne de gestion des rayons, les équipes reçoivent une alerte dès qu'une rupture est détectée
- détecter également les problèmes de balisage, les absences d'étiquettes prix, et tous les irritants qui ternissent l'expérience client
Le projet ne s'arrête pas là, il permet également de remonter des informations liées à la vente de produit et d'estimer le meilleur emplacement pour chacun.
Au final, la solution vend un gain de temps au niveau des équipes. Moins concentré sur la détection manuelles des ruptures, le système le fait pour eux.
Un système loin de faire l'unanimité au sein des équipes en magasin
Le système mis en place part d'une bonne intention, celui de limiter les ruptures. En cas de non-remplacement du produit par le consommateur, cela représente en effet une perte sèche de chiffres d'affaires pour les marques et les enseignes. Alors forcément il y a un enjeu de taille pour les magasins à y faire face.
Sauf que voilà, le système, loin d'être miraculeux, aurait ses limites.
Selon nos informations, les caméras sont dotées (seulement) d'un capteur de 5 méga pixel. La technologie s'avère au final presque inutile pour des caméras situées à plus de 2 mètres de hauteur, qui, dans cette situation, ne peuvent avoir une vision précise de leur champ de vision. Conséquence : des codes-barres indéchiffrables, une lisibilité des prix limitée, voire presque inexistante. Par ailleurs, les caméras seraient très sensibles aux problèmes d'éblouissement en raison de l'angle choisi de la caméra.
Interrogés, plusieurs responsables de magasin de l'enseigne nous ont expliqué comment fonctionne le système : « chez nous à Albertville, le système de réappro automatique fonctionnent très bien. C'est vrai qu'on ne voit pas toujours pas l'intérêt du système. C'est beaucoup pour pas grand-chose ».
Pour les plus optimistes et convaincus du système qui se met en place progressivement au niveau des magasins, certains nous ont expliqué qu'il « faut reconnaître que le système est pratique pour les équipes chargés de la repasse les après-midi. Le système t'indique ce qu'il manque en rayon et ça fait gagner du temps », pointe cet employé de l'enseigne. Le système vient en complément des nombreux aléas rencontrés par les équipes dans la gestion de leur rayon : « les ruptures correspondent soit à des stocks faux, soit à des leviers de reappro trop faibles. C'est là que le système est intéressant, car il détecte les manquements : entre les vols, les produits non passés en démarque, les produits mal comptés lors des inventaires, la rupture est inévitable même avec un système de réappro automatique. Donc oui, c'est bien de les détecter et nous aider à ajuster », précise-t-il.
Du côté des plus réticents, nombreux expliquent « que le relevé de rupture est censé être fait tous les matins pour être recommandé, donc si les équipes font bien le job, les caméras ne servent à rien », indique ce manager. Même constat pour cet employé qui explique que le système « met les équipes en tension. La direction nous demande aussi bien de respecter les plans et le lendemain d'agrandir le facing sur les références manquantes ou de boucher les trous pour faire genre d'avoir un joli rayon. C'est contre-productif, car au final on finit par zapper des articles lors de nos commandes », insiste cet employé.
Même son de cloche avec ce manager qui nous explique « qu'en théorie, c'est a l'air bien, que ça fait gagner du temps, que ça évite de faire des allers-retours stock/surface de vente. On a eu chez nous le cas de figure d'articles cachés derrière le produit visible de la caméra, car sans doute mal replacé par un client. Pour le coup, y'a eu alerte et on a perdu du temps bêtement ».
Constaté sur le terrain, un manager nous a également confié que les caméras « ont leurs limites. Le système détecte les ruptures à condition que le rayon soit façadé de l’ouverture à la fermeture parce que les caméras ne voient pas entre les étagères vu où elles sont situées ». En effet, situées à un peu plus de deux mètres de haut, les 5 méga pixel disposeraient d'une fiabilité optique insuffisante. Un autre responsable nous expliquera que « les caméras ne font pas forcément la différence entre un prince au blé complet ou un prince tout choco par exemple ».
Pour finir, selon nos informations, les caméras nécessitent une visite sur site pour installer et désinstaller les caméras sur les appareils. Les piles doivent être remplacées régulièrement, tous les 4 à 6 mois. Et le système doit être revu à chaque révision d'étagères ou de planogramme.
Quelle alternative technologique pour détecter les ruptures en rayon
Mais alors quelle solution mettre en place pour détecter les ruptures avec une meilleure fiabilité.
Inaugurés en 2018 au Géant Casino de Pessac, le robot de Simbe Robotics présente des alternatives plus convaincantes que les caméras. Selon nos informations, le test initié depuis 2018 dans l'Hypermarché de Gironde serait terminé depuis le début de l'année et aucun déploiement ne serait envisagé à court terme. Faut dire que les robots font encore craindre les magasins, alors que les caméras paraissent plus inoffensives pour le capital social d'une enseigne.
En comparaison avec les caméras, les robots sont équipés de capteurs haute définition de 12 méga pixel (contre 5 méga pixel pour les caméras), des systèmes de mise au point automatique capturant non seulement une qualité d'image élevée (les codes-barres, les produits, les étiquettes et les prix sont bien plus lisibles), mais aussi la profondeur du rayon, et ce sur toute sa hauteur. La nouvelle version du robot est d'ailleurs la plus avancée au monde, permettent au robot d'analyser plus finement son environnement.
Les robots parcourent le magasin 24h/24 et 7j/7. Ils sont capables de s'adapter au changement de rayon sans configuration supplémentaire (de changements mineurs à des réimplantations complètes) et les mises à jour logicielles sont effectuées via le cloud.
La grande distribution européenne à la traîne en matière de robotique et d'automatisation des tâches
À ce jour, l'Europe est encore très frileuse sur ces nouveaux modèles. On retrouve bien des robots chez Auchan au Portugal par exemple ou bien chez Carrefour aux Émirats arabes unis, mais le marché français tardent à s'ouvrir, alors qu'outre-Atlantique, Simbe Robotics équipe déjà les 111 magasins de l'enseigne Schnucks.
Bien entendu, les robots en grande distribution soulèvent beaucoup d'interrogations. Ils inquiètent, à tort, malgré les besoins croissants du secteur à automatiser certaines tâches en magasin, d'améliorer la productivité des équipes des magasins et de réduire enfin la pénibilité dans un secteur à l'aube d'une crise de recrutement. Ils sont aussi un levier technologique important pour améliorer l'expérience client.
Selon nos informations, des tests discrets sont en cours en France mais 🤫.